En tenant compte de manière systémique des besoins accrus des personnes migrantes en matière de santé mentale, une prise en charge basée sur le lien répond à un véritable besoin de soins. Un projet suisse-alémanique s’y emploie.
Par Franziska Rhiner, coordinatrice de projet « Bâtisseurs de points pour la santé mentale des réfugiés », et Sabine Sur, stagiaire en communication, NCBI Suisse
La grande majorité des personnes réfugiées doivent composer avec un vécu d’expériences difficiles, voire traumatiques. Que ce soit avant le départ de leur pays d’origine, pendant leur fuite, en raison des incertitudes liées à leur statut, ou lors de leur arrivée en Suisse, les situations pouvant porter à conséquence sur la santé psychique sont nombreuses. Cependant, elles subissent encore régulièrement une carence dans la prise en charge de leurs problèmes mentaux (Müller, Roose, Landis et Gianola, 2018 et Melamed et al., 2019). L’afflux récent d’Ukrainien·ne·s vient rendre la situation des systèmes administratifs et de santé encore plus tendue.
Dans un contexte où l’accès aux soins psychiques se trouve déjà semé d’embûches, notamment en raison du manque de places de thérapie en général, les personnes en exil sont confrontées à davantage d’obstacles encore, tels que les barrières linguistiques. Les concerné·e·s sont principalement de jeunes adultes ou des mineur·e·s non accompagné·e·s, dont les troubles, souvent non décelés, peuvent culminer en crises spectaculaires. Ceux-ci débouchent parfois sur l’intervention de la police ou une prise en charge psychiatrique forcée.
L’initiative des Bâtisseur·ses de pont, avec sa spécialisation dans le traumatisme, ambitionne de contribuer à la résolution de ces problèmes en facilitant l’intégration des réfugié·e·s de manière efficiente et durable [1]. Développée depuis 2020 [2], elle repose sur la présence, pour le·a migrant·e concerné·e, d’un duo composé d’un·e thérapeute, formé·e aux nuances de la culture d’origine, et d’un·e bâtisseur·se de pont. Ensemble, ils et elles prennent en charge les migrant·e·s et les aident à gérer leurs troubles, à se familiariser avec le système social, l’administration, et la langue locale. En outre, le ou la bâtisseuse de pont accompagne les personnes étrangères dans leur vie quotidienne, réduit les facteurs de stress post-migratoire et contribue à la déstigmatisation des maladies psychiques. Les bâtisseur·se·s peuvent également informer ou alerter les thérapeutes sur d’éventuelles conditions de vie particulières ou problématiques.
Les bâtisseur·se·s de pont sont eux et elles-mêmes des réfugié·e·s bien intégré·e·s dans le pays d’accueil, qui parlent la langue locale et leur langue d’origine. Les premier·e·s d’entre eux et elles, d’origine érythréenne, ont été formé·e·s en 2015. Des migrant·e·s d’autres nationalités sont ensuite venu·e·s renforcer l’équipe, qui compte désormais environ cinquante personnes. Aujourd’hui, les langues parlées sont le dari/farsi, le tigrinya, l’arabe, le kurde, le somali, le tamoul, le turc, et bientôt l’ukrainien et le russe. Ce projet est implanté en Suisse alémanique, mais pas encore en Suisse romande.